En commettant ces actes hideux, Mohamed Merah n’a pas seulement illustré la folie meurtrière, il a aussi porté un coup terrible aux musulmans de France en induisant, une fois de plus, un désastreux amalgame entre l’islam de la République et les comportements antireligieux et racistes de quelques personnes endoctrinées.
Disons-le tout de suite : les seuls responsables de ce basculement dans la haine, c’est Mohamed Merah et tous ceux qui, sur ce chemin pavé de clous, l’ont endoctriné et lui ont inoculé leur misérable poison.
Mais ce type de trajectoires doit aussi nous interroger sur la manière dont notre société, en dépit de ses valeurs et de ses principes, a pu laisser prospérer, ou plutôt dégénérer, de tels individus sans qu’aucune vigie, aucun système d’alerte efficace n’envoie aux bonnes personnes au bon moment les bons signaux. Et il y a là quelque chose de très inquiétant à assister, passifs, à une telle métamorphose de la haine, à voir un gosse paumé devenir successivement voyou de quartier et djihadiste international.
Certes, il est tentant d’analyser cette affaire comme un nouveau symptôme du cancer de l’islam, de cette maladie de l’extrémisme qui le ronge de l’intérieur. Pourtant, ce ne serait voir qu’un bout de la lorgnette et il y a fort à parier que la religion, ou le succédané foireux qui en tient lieu dans le cas de ce tueur, n’est qu’un palliatif, une béquille qui vient faire tenir debout un esprit déjà en déliquescence. Partout et toujours l’extrémisme religieux – prospère sur le même terreau, se nourrit des mêmes herbes : la pauvreté, l’absence de famille, l’abandon et, somme de tout cela, le ressentiment. La « rage », comme l’a dit l’un de ses amis en parlant de lui. Mohamed Merah incarne l’archétype du gosse paumé, fragile, seul parce qu’abandonné par tous et d’abord par sa propre famille, et auquel le « salafisme » va donner un semblant de sens et catalyser la haine.
Alors qu’y-a-t-il donc de cassé dans notre République pour qu’elle fabrique, ou plutôt pour qu’elle ne parvienne pas à briser de tels itinéraires ?
Il me semble évident – parce que c’est le cas depuis trente ans en France – que nous verrons à nouveau grandir de telles figures hideuses tant que nous n’aurons pas durablement solutionné le problème des « quartiers sensibles » – où ont grandi, entre autres, Khaled Kelkal, Youssouf Fofana et Mohamed Merah, mis un terme à leur paupérisation et à leur isolement, endigué la violence croissante qui résulte précisément de l’absence de perspectives, d’emplois, d’écoles qui ne remplissent plus, faute de moyens et d’ambition, leurs missions. Ces territoires de la République sont bien des « territoires perdus » où s’insinuent, faute d’autre chose, les pires poisons.
Et lorsque depuis des années là-dessus se greffent et s’accumulent des discours et des débats qui divisent le pays et jettent l’anathème sur des catégories de citoyens, lorsque s’élabore, à coups de saillies verbales calculées autant que de pratiques administratives honteuses, une xénophobie d’Etat, ce n’est pas tout à fait, dans un pays comme le nôtre où certaines blessures et divisions structurent encore l’imaginaire national, une excellente chose. La République doit ainsi reprendre sa place dans les paroles comme dans les actes.
Mais agir dans les banlieues et au profit, plus largement, de tous les territoires défavorisés de la République, y compris les zones rurales où la jeunesse y est souvent et tout autant désespérée, ce n’est ni promouvoir un énième plan Marshall ni se contenter de détruire et de reconstruire des tours, c’est avant toute chose éradiquer la pauvreté, rétablir les services publics et en premier lieu l’école et la police de proximité, développer l’emploi, lutter contre la désertification médicale. Bref, c’est réintroduire une forte dose de République partout où elle a disparu.
Et dans le même temps, parce que c’est un effort collectif qui doit être conduit, les musulmans eux-mêmes, à l’aide du CFCM par exemple, doivent contribuer à débusquer tous ceux qui ne jouent pas le jeu de la République, dans les quartiers sensibles, dans les salles de prières, dans les prisons.
L’islam n’est pas le problème, la République est la solution.