L’un des paradoxes qui émergent des résultats du premier tour pour le chef de l’Etat c’est qu’en sanctionnant sa « stratégie Buisson », ils la renforcent pour le second tour.
Voilà en effet à peu près deux ans, depuis en gros que Nicolas Sarkozy a décidé de se représenter à l’élection présidentielle, que le chef de l’Etat applique rigoureusement les consignes de son conseiller Patrick Buisson : séduire par un discours sur les valeurs les électeurs du Front national au premier tour, puis se recentrer entre les deux tours.
Cette stratégie avait un objectif majeur : palier la défection de tous les déçus du sarkozysme par le ralliement de la droite dure et d’une partie de l’extrême droite, selon le vieux principe des vases communiquant. Mais voilà : les vases n’ont pas communiqué ! Tout l’arsenal de déclarations et de mesures sur l’identité nationale, l’islam menaçant, l’immigration massive et l’échec de l’intégration que le chef de l’Etat et ses sbires ont conçues et martelées depuis 2009 et plus fort encore depuis le discours de Grenoble n’ont fait que confirmer la vieille antienne de Jean-Marie Le Pen répétée depuis le début des années 90 à l’attention des responsables de la droite républicaine tentés par la conquête des voix frontistes : une fois encore les électeurs de Marine Le Pen ont préféré l’original à la copie.
Avec près de 18%, Marine Le Pen réalise le score le plus élevé du Front national à une élection présidentielle. Son électorat constitue ainsi l’une des clés du second tour pour Nicolas Sarkozy, sûrement la plus importante, car avec un Bayrou à 9%, sa seule vraie réserve de voix se situe à l’extrême droite. Dans ces conditions, impossible pour lui de se recentrer désormais. Arrivé deuxième à l’issue du premier tour, il ne peut plus compter que sur le renfort massif des électeurs de Marine Le Pen qui, c’est un euphémisme, ne seront pas faciles à convaincre tant le chef de l’Etat a pendant cinq ans déçu les milieux ruraux et populaires – le socle électoral du Front national.
Dès le soir des résultats du premier tour, les responsables politiques de l’UMP qui se sont succédés sur les plateaux de télé ont donc martelé le message : 1) ceux qui ont voté FN ne sont pas des salauds ; 2) ils doivent être entendus et compris, et 3) d’ailleurs ça tombe bien car Nicolas Sarkozy est maintenant le seul à défendre les thèmes de prédilection du FN. Florilège des déclarations au lendemain du scrutin : pour Rachida Dati, le 1er tour « valide les thèmes de campagne » défendus par le chef de l’Etat, à savoir la « maîtrise de l’immigration, le renforcement des frontières, la lutte contre la delocalisation et réforme du système scolaire ». Alain Juppé a quant à lui estimé que le mot immigration n’était pas un “mot tabou” et que “ le discours de Nicolas Sarkozy sur l’immigration qui consiste à dire que la France ne peut pas accueillir tous les immigrés me convient parfaitement”, et Xavier Bertrand en réunion à Bordeaux de poursuivre dans cette veine, sous les vivats des convives : « La France qui s’est réveillée ce matin ne veut pas de fonctionnaires en plus, elle n’a pas envie de payer des impôts en plus, n’a pas envie d’avoir de l’immigration en plus ou le vote des étrangers aux élections locales ». Et un peu plus tard, le même : “garder notre mode de vie c’est accepter les réformes pour garder notre modèle social, refuser par exemple le vote des étrangers aux élections locales ». Etc.
Bien sûr, cela ne fait que commencer et ne manquera pas de s’amplifier dans les jours qui viennent. Mais ce que l’on retiendra de cette stratégie, outre qu’elle a échoué au premier tour et que, sans doute, elle échouera aussi au second tant les électeurs ne sont pas dupes de la manœuvre presque désespérée qui se joue depuis le milieu du quinquennat, c’est qu’elle a profondément – et vainement en fait – divisé les Français. Les électeurs du Front national ne sont coupables de rien. Au même titre que l’ensemble des citoyens, ils refusent de se laisser mener en bateau et attendent des responsables politiques qu’ils leur parlent avec sincérité et courage. Nicolas Sarkozy, en revanche, est coupable d’une chose : il a fait du plus vil électoralisme l’instrument de sa politique. Et ainsi entaché la République qu’il était censé servir.
Un commentaire Ajoutez le vôtre