Contrôles d’identité : où en est-on ?

Les contrôles d’identité fondés sur un profilage racial – ce qu’on appelle les « contrôles au faciès » – sont régulièrement pointés du doigt par des associations et ONG depuis de nombreuses années, comme par exemple en janvier dernier par Human Rights Watch. Au cours de la campagne électorale, François Hollande s’était engagé à « mettre un terme » à ces contrôles abusifs, indiquant qu’il s’agissait d’une discrimination inacceptable, et vendredi 1er juin, le Premier ministre Jean-Marc Ayrault a confirmé cet engagement. La piste retenue à ce stade semble être l’idée d’un récépissé qui serait délivré par les policiers aux personnes contrôlées.

Qu’est-ce qu’un contrôle d’identité ?

Les contrôles d’identité sont encadrés par les articles 78-1 et suivants du Code de procédure pénale (CPP), lequel prévoit que toute personne se trouvant sur le territoire français doit accepter de se prêter à un contrôle d’identité. Mais le droit distingue les contrôles qui relèvent de la police judiciaire – lesquels sont liés à la commission d’une infraction – et ceux qui relèvent de ce qu’on appelle la police administrative, qui ne sont pas nécessairement liés à une infraction et ont pour objet de prévenir des atteintes à l’ordre public.

Que dit le CPP : qu’un contrôle de police judiciaire peut être effectué sur toute personne à l’encontre de laquelle il existe « une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner » (article 78-2) qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction, qu’elle se prépare à commettre un délit ou un crime, qu’elle est susceptible de fournir des renseignements utiles dans le cadre d’une enquête en cours ou bien qu’elle fait l’objet de recherches par les services de police. Remarque importante : l’encadrement des contrôles de police judiciaire a été assoupli par la loi du 18 mars 2003. Avant 2003, un contrôle d’identité pouvait être effectué uniquement sur des personnes à l’encontre desquelles il existait un « indice » faisant présumer qu’elles étaient liées à la commission d’une infraction, d’un délit ou d’un crime. Après 2003, plus besoin d’indice ; seules des raisons « plausibles de soupçonner » quelqu’un sur la base de son comportement suffisent.

En réalité, ce sont donc les contrôles dits de police administrative qui, régis par une réglementation plus souple, sont les plus propices à des abus, voire à des dérives. En effet, selon l’article 78-2, aliéna 3 du Code procédure pénal, les contrôles de police administrative visent à prévenir une atteinte à l’ordre public, sans lien avec la commission d’une infraction. Dans ce cadre, un contrôle d’identité peut être effectué à l’encontre de toute personne, quelque soit son comportement ou ses agissements. Les policiers jouissent donc dans ce cadre de pouvoirs d’appréciation très larges.

Le problème des contrôles au faciès

Voilà pour le droit. Maintenant, dans les faits, que se passe-t-il et pourquoi les contrôles d’identité peuvent-ils – ils ne le sont pas la plupart du temps, heureusement – être problématiques ?

 

D’abord, il faut rappeler que les policiers font des contrôles d’identité, non pour embêter les personnes qu’ils contrôlent mais pour prévenir des infractions (police administrative) ou dans le cadre d’enquêtes liés à une infraction (police judiciaire). Les contrôles d’identité sont donc un instrument important et nécessaire du travail policier.

Le premier problème posé par les contrôles « au faciès », c’est qu’ils relèvent d’une pratique discriminatoire. Quand une personne a un comportement suspect, il est tout à fait légitime que les policiers procèdent à un contrôle d’identité. Mais lorsqu’il n’y a ni comportement ni agissement particulièrement suspect, ni aucun indice laissant supposer que la personne contrôlée a un lien avec une infraction commise ou en préparation, c’est là que le contrôle d’identité peut se transformer en profilage racial effectué sur la base d’une impression liée à l’apparence (phénotype, tenue vestimentaire, etc.). Le contrôle au faciès repose ainsi sur la croyance, ou le préjugé, qu’un individu perçu comme d’origine étrangère ou bien catalogué comme « jeune de banlieue », serait en soi, quelque soit son comportement, plus enclin que d’autres à commettre un délit.

Cela, c’est le caractère potentiellement discriminatoire du contrôle d’identité lorsqu’il dégénère en contrôle au faciès fondé non sur des éléments tangibles, objectifs, mais sur un préjugé lié à l’origine perçue. Un deuxième problème apparaît lorsque ces contrôles sont effectués de façon systématique et/ou plusieurs fois de suite sur un même individu. Dans son enquête de janvier 2012, Human Rights Watch avait souligné l’ampleur de ces contrôles abusifs, indiquant qu’il n’était pas rare dans certains quartiers que les policiers contrôlent des enfants de moins de 13 ans ou procèdent à des fouilles et palpations intimes en public sur des individus en l’absence d’un quelconque signe permettant de supposer qu’une infraction a été commise.

Ces contrôles d’identité discriminatoires, abusifs et arbitraires sont pourtant interdits. Le Conseil constitutionnel indiqua ainsi dans sa décision du 5 août 1993 que les contrôles abusifs et discrétionnaires étaient incompatibles avec la liberté individuelle. Dans un arrêt du 14 décembre 2000, la Chambre civile de la Cour de cassation souligna à son tour que les contrôles d’identité ne pouvaient pas se faire sur le seul fondement de l’apparence extérieure, ni non plus sur le fait de parler une langue étrangère. Enfin, dans son rapport annuel de 2008 portant sur les mineurs, la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS) créée par le gouvernement de Lionel Jospin et depuis 2011 diluée dans le Défenseur des Droits, rappela qu’« il convient en particulier d’éviter les contrôles d’identité sans motif et au faciès, les interpellations dans des lieux inappropriés, les mesures de coercition inutiles et les violences illégitimes ».

Quelle est l’ampleur de ces contrôles au faciès ?

A ce jour une seule étude, réalisée à grande échelle, permet de « mesurer » l’ampleur des contrôles au faciès en France : celle de l’Open Society Justice Initiative en collaboration avec le CNRS qui a cherché à savoir dans quelle proportion les policiers contrôlaient les individus en fonction de leur apparence extérieure. Qu’a montré cette étude ? Que les policiers avaient tendance à contrôler 6 fois plus les individus perçus comme Noirs  et 7,8 fois plus les individus perçus comme Arabe que ceux perçus comme Blancs. Face à cette situation, un collectif – Stop le contrôle au faciès – a été créé et, en 2011, a lancé une opération afin de récolter par SMS des témoignages de personnes abusivement contrôlées.

La réalité de ces contrôles au faciès, bien que difficile à appréhender statistiquement, a par ailleurs été corroborée par les travaux de Didier Fassin dans son ouvrage récent La force de l’ordre (2011) ainsi que le rapport de Human Rights Watch (janvier 2012) cité en préambule de cet article.

Quelles solutions ?

Le point d’équilibre est difficile à trouver. D’un côté, les policiers doivent pouvoir faire leur travail dans des conditions adéquates, sans être stigmatisés, et de ce point de vue le contrôle d’identité est un instrument efficace, lorsqu’il est convenablement réalisé, pour identifier des suspects dans le cadre d’une affaire en cours ou bien des personnes à l’encontre desquelles, du fait de leur comportement et non de leur apparence, il peut y avoir une raison sérieuse de penser qu’ils ont commis ou vont commettre un acte répréhensible. D’un autre côté, la multiplication de contrôles d’identité abusifs, discrétionnaires et manifestement discriminatoires ne peut qu’entacher la police et miner davantage encore les relations pour le moins rugueuses qu’elle entretient avec les jeunes, en particulier dans les zones défavorisées.

Il convient donc d’essayer de circonscrire ces pratiques et c’est tout le sens de la réflexion et des consultations qui vont être conduites par le ministère de l’Intérieur. A ce stade, la piste du récépissé semble être envisagée. En quoi cela consiste-t-il ? En un reçu que délivrerait le policier à la personne contrôlée à l’issue du contrôle. Cela permettrait de « tracer » les contrôles et d’éviter qu’une personne soit contrôlée plusieurs fois. Cette solution s’inspire de plusieurs expériences développées à l’étranger.

C’est l’Angleterre qui, dès 1984 à travers le Code PACE, a parmi les premiers mis en place un dispositif de lutte contre les contrôles au faciès. Celui-ci consistait justement en un reçu délivré à la personne contrôlée sur lequel devait figurer le motif du contrôle, son objectif, le nom et le matricule du policier contrôleur ainsi que l’origine ethnique de la personne contrôlée (choisie par celle-ci parmi 16 catégories et non par le policier). Après les attentats de Londres, en 2005, la pratique du reçu a cependant été supprimée. En Espagne, des expérimentations ont été conduites dans plusieurs villes en 2007 et en 2008 (dans le cadre des travaux de l’OSJI déjà cités plus haut) : lors de chaque contrôle, le policier devait délivrer à la personne contrôlée le double d’un formulaire contenant ses informations personnelles ainsi que son origine ethnique. Les données issues de ces formulaires ont permis d’établir que les personnes d’origine étrangère, maghrébine en particulier, étaient beaucoup plus contrôlées que les autres.  Aux USA enfin, les policiers doivent là encore délivrer lors de chaque contrôle d’identité un formulaire contenant, outre les informations relatives au policier (nom et matricule) et à la personne contrôlée, l’origine ethnique de celle-ci telle qu’elle a été perçue par le policier. Ces données sont ensuite traitées et donnent lieu à des statistiques permettant de mesurer quels groupes sont davantage soumis à des contrôles d’identité.

Ces expériences sont intéressantes pour nourrir la réflexion. La piste du récépissé envisagée est intéressante et s’est avérée efficace pour lutter contre les contrôles abusifs. Cependant, dans tous les pays qui l’ont mise en œuvre, elle s’est accompagnée de la mise en évidence sur le formulaire de l’origine ethnique de la personne contrôlée. En France, cela semble peu envisageable. Il n’en reste pas moins que, exactement comme pour tout phénomène de discrimination, le contrôle au faciès se fonde sur la perception d’une différence – ici ethnique – induisant un préjugé – une suspicion de culpabilité supérieure pour certains groupes de la population. Or c’est par la mise en évidence statistique de cette forme de discrimination raciale – et donc de l’origine ethnique, laquelle doit être anonymisée – que l’on parviendra davantage à la mesurer et donc à la combattre. Comme l’indiquait le conseiller d’Etat Jean-Michel Belorgey dans son rapport fondateur de 1999 sur les discriminations en France : « on ne traite bien que ce qu’on nomme ».

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