Voici un nouvel article que je publie aujourd’hui sur le site Mediapart à l’occasion de la visite de François Hollande à Alger. Cet article évoque quelques-unes des raisons, franco-françaises celles-ci, qui justifient que le président de la République lève le voie – et brise un tabou – sur cette période de l’histoire.
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Il est peu de dire que la visite de François Hollande à Alger est très attendue. Outre les nombreux contrats qui pourraient être signés par les chefs d’entreprise qui accompagneront le président de la République, c’est aussi sous l’angle politique et historique que cette visite d’Etat – la première depuis celle de Jacques Chirac en 2003 – doit être appréhendée.
Après l’éloignement, et même une forme de défiance, qui ont prévalu durant le quinquennat de Nicolas Sarkozy, la relation franco-algérienne, stratégique pour les deux pays, pourrait être utilement relancée. A condition que les deux chefs d’Etat y soient prêts : François Hollande à mettre un terme au silence assourdissant de la France sur l’oppression coloniale, Abdelaziz Bouteflika à interrompre ses récriminations régulières à ce sujet. Un élément semble clair, toutefois : l’achoppement a d’abord lieu sur le terrain de la mémoire, lequel conditionne la bonne tenue de la relation économique et politique que les deux pays entretiennent.
L’enjeu de mémoire n’est évidemment pas anodin, pour aucun des deux pays. La « guerre d’Algérie » – reconnue officiellement en tant que telle en France en 1999 seulement – affleure encore à la surface de la mémoire nationale, cinquante ans après son terme, et pour certains, la perte de l’Algérie est encore ressentie comme une terrible déchirure. Du côté algérien, les déclarations de certains responsables politiques ou, plus profondément, l’article 4 de la loi du 23 février 2005 reconnaissant le rôle positif de la colonisation (abrogée depuis), sont perçues comme des provocations intolérables, d’où le durcissement de ton du président Algérien qui a à plusieurs reprises exigé des excuses officielles de la France.
Une voie de compromis est cependant possible entre le silence et la repentance, entre le déni et les excuses. Cette voie, sage, est celle de la reconnaissance des faits. Elle a d’ailleurs déjà été empruntée par le chef de l’Etat à l’occasion de la commémoration du 17 octobre 1961, et elle doit l’être encore au chapitre de la colonisation. Dans l’intérêt de la France.
Reconnaître quoi, en premier lieu ? Que la République française a commis une erreur. Que le projet colonial dans son ensemble fut un vil dessein, à rebours de l’esprit républicain, et que la tentative de la France de « civiliser les races inférieures » portait en germe un système d’apartheid dont les centaines de milliers de Français qui vivaient en Algérie n’étaient certes pas responsables, mais dont ils bénéficiaient plus ou moins au détriment d’une majorité de personnes, discriminées sur le fondement de leur appartenance raciale, ou religieuse. Rappelons ici, parmi mille exemples, cette décision de la cour d’Alger prise en 1865 : « tout en n’étant pas citoyen, l’indigène est Français ». C’est la doctrine dite de la nationalité sans la citoyenneté, c’est-à-dire sans aucun des droits conférés au citoyen français. L’Algérie, alors, c’était la France, c’était la République…
Mais après tout, grondent certains, pourquoi la France reconnaîtrait-elle que le système colonial qu’elle mit en œuvre en Algérie, notamment, fut antirépublicain et contraire à ses valeurs alors même que l’Algérie se refuse de son côté à concéder quoique ce soit, par exemple à l’égard des Harkis ? La réponse est simple : parce que ce fut la France qui colonisa l’Algérie, pendant 130 ans, et qui réduisit ceux qui y vivaient à l’état de sous-citoyens, et non l’inverse. Et que la colonisation, quoiqu’en pensent ses derniers thuriféraires, n’y laissa que des cendres, pour tout le monde. Alors oui, bien sûr, c’est à la France, aujourd’hui, de faire le premier pas.
Pourquoi cette reconnaissance est-elle importante maintenant ?
D’abord parce que entre 2 et 4 millions de personnes constituent la diaspora algérienne en France, et que ces gens-là, Français pour la plupart, ont droit à la reconnaissance des faits, c’est-à-dire d’une partie de leur histoire. Ils se sentiront d’autant mieux en France que celle-ci, cessant de nier son passé, l’acceptera pour aller de l’avant et bâtir un avenir commun. Si ce terme n’avait pas été tant démonétisé ces dernières années, je dirais que ce qui est aussi en jeu dans cette affaire de reconnaissance, c’est l’intégration de millions de Français d’origine algérienne, et au-delà.
Cette reconnaissance est aussi importante parce qu’elle permettrait de relancer une relation économique qui, si elle demeure importante – la France reste le premier fournisseur de l’Algérie – pourrait l’être davantage, et d’abord au bénéfice des entreprises françaises, Renault en premier lieu, qui ont dramatiquement besoin de débouchés dans un contexte de crise majeure. Et avec environ 200 milliards de dollars de réserve de change, l’Algérie a désormais les moyens financiers de ses ambitions. Ses besoins sont énormes : BTP, transports, énergie… Or les entreprises françaises ne sont pas les seules en lice. Les Chinois grignotent continuellement des parts de marché, les Turcs et les Sud-Coréens aussi, car réputés plus pragmatiques, les investisseurs étrangers non français ne sont pas pris dans les affres d’une relation franco-algérienne largement déterminée par le facteur politique.
Dernière raison, encore plus stratégique celle-ci : c’est par Alger que passe nécessairement la lutte contre les terroristes d’AQMI, lesquels détiennent encore sept otages Français au Sahel (un autre est détenu en Somalie). Une intervention militaire dans ce « Sahelistan », y compris sous pavillon africain avec le soutien de l’Union européenne, requiert l’aval de l’Algérie, ou du moins sa neutralité. Ce n’est pas encore acquis tant l’Algérie demeure méfiante à l’égard d’une intervention militaire à ses frontières et favorable à un règlement politique de la situation.
Que l’on choisisse les trois raisons ou bien une seule, que l’on se place du coté de la real politik ou bien de la morale, il est temps pour la République, à travers la voix de son président, de regarder son histoire en face, d’accepter que certains faits commis ont été des erreurs et que l’idéologie coloniale – non ceux qui en furent les victimes d’un côté ou de l’autre – a dévoyé l’idéal républicain. Il convient de reconnaître cela, non pour faire plaisir aux Algériens, mais pour le bien de la France.
« La colonisation a été un système inéquitable et oppresseur. La guerre d’Algérie a produit, comme toute guerre, des tragédies humaines. Dire cette vérité, n’est pas rajouter du malheur à la douleur, c’est accomplir notre devoir à l’égard de toutes les victimes de cette période. Le retour sur notre passé est nécessaire pour préparer l’avenir. » L’auteur de ces lignes n’est autre que… François Hollande, en 2006, alors qu’il était Premier secrétaire du Parti socialiste.
oui, je suis d’accord avec vous. Je pense cela dit que c’est une question de justice que la france reconnaisse ses torts pour ses 132 ans de colonisation.
merci pour cet article en tout cas