Présidentielle en Algérie : 3 phénomènes clés d’un scrutin joué d’avance (L’Express, 17/04/2014)

Présidentielle en Algérie: les phénomènes clés d’un scrutin joué d’avance

 Par , publié le 17/04/2014 à 16:31

Malade, Abdelaziz Bouteflika, s’est néanmoins lancé dans la campagne pour un quatrième mandat présidentiel, après quinze années à la tête de l’Etat algérien. Karim Amellal, enseignant à Sciences Po, décrypte les enjeux cachés de ce scrutin.

Présidentielle en Algérie: les phénomènes clés d'un scrutin joué d'avance

« S’affichant aux côtés de leaders du monde, tel le secrétaire d’Etat américain John Kerry, Abdelaziz Bouteflika devait donner l’image d’un leader, certes affaibli, mais aux commandes d’un pays stratégique, et

La réélection de Abdelaziz Bouteflika dès le 1er tour du scrutin ne fait aucun doute. Ni même le score, sans doute important, avec lequel il sera réélu. Ni encore la participation dont le taux officiel oscillera entre 50 et 70% pour consacrer un peu plus la légitimité du président réélu. Quelques zones d’ombre persistent encore un peu. Combien fera par exemple Ali Benflis, le principal challenger de Bouteflika? Comment la fraude, assez inévitable de l’avis de tous les spécialistes, sera-t-elle gérée par le système et par ses opposants?

Soit, mais cela n’est pas vraiment nouveau en Algérie. Jusque-là, aucun second tour n’a jamais été organisé à une élection présidentielle. A la dernière élection, en 2009, le président Bouteflika a été élu dès le 1er tour avec pas moins de 90% des voix d’un corps électoral de 21 millions d’Algériens. A chaque scrutin, la fraude a été dénoncée. A chaque scrutin, qu’ils qualifient tous ou presque de mascarade, les opposants au régime hésitent entre participer, au risque de légitimer l’élection, ou la boycotter, au risque de se marginaliser.

C’est cette alternative, peu réjouissante, qui a cette fois encore guidé les responsables de l’opposition, ou de ce qui en tient lieu, entre le front du boycott » – une large coalition allant du RCD, un parti laïc, aux islamistes – et les participants à l’élection, commeLouisa Hanoune, la candidate du Parti des travailleurs, un parti trotskiste, qui a cette année encore décidé de concourir. Une innovation, tout de même: la position pour le moins ambiguë du FFS, le plus vieux parti d’opposition algérien, qui a choisi de s’en tenir à un « ni-ni » – ni boycott ni participation – que les dirigeants du parti, membre de l’Internationale socialiste, ont justifié avec peine. Cette élection, pourtant, restera dans les esprits et, à certains égards, peut même constituer un tournant dans le pays.

En premier lieu, bien sûr, à cause de l’invisibilité du principal protagoniste de cette élection: le président Bouteflika. Malade, il n’a pu participer à aucun meeting bien que ses partisans aient savamment entretenu le suspense, jusqu’au bout. Sa présence dans la campagne s’est bornée à de rares apparitions télévisuelles, dont on sait maintenant qu’elles ne furent pas toutes d’une authenticité irréprochable. S’affichant aux côtés de leaders du monde, tel le secrétaire d’Etat américain John Kerry, Abdelaziz Bouteflika devait donner l’image d’un leader, certes affaibli, mais aux commandes d’un pays stratégique, et courtisé.

Le tour de force exceptionnel, sur le plan de la communication, fut d’organiser et de gérer une campagne présidentielle… sans le président, candidat à sa réélection. A coups de messages distillés via l’APS, l’agence de presse officielle, d’instants de présence savamment orchestrés et d’une hyper-présence avec d’hyper-moyens de ses représentants désignés pour faire campagne en son nom – dont les anciens premiers ministres Ouyahia, Belkhadem et surtout Sellal -, ces derniers sont parvenus à banaliser l’idée que Bouteflika n’avait, au fond, pas besoin de faire campagne directement, qu’il était au-dessus de la mêlée précisément parce qu’en charge des affaires du pays.

En instrumentalisant la mémoire toujours vive de la décennie noire et la peur d’un danger terroriste qui sourd aux frontières du pays, ils ont réussi à faire, paradoxe suprême, d’un président physiquement amoindri un rempart contre les ennemis du pays. Bien sûr, tous les Algériens ne sont pas dupes. Ils connaissent l’état de santé précaire de leur Président, savent qu’il est sans doute dans l’incapacité de gouverner le pays, mais à la longue, ils se sont en quelque sorte habitués à son absence. L’Algérie a ainsi connu une situation sans précédent dans le monde, celle d’une campagne électorale présidentielle où le principal candidat va être élu haut la main sans même avoir eu besoin de faire campagne…

Cette situation, néanmoins, ne laisse pas tout le monde indifférent. Et même si le statu quo satisfait beaucoup d’Algériens, peu enclins à prendre le risque de bousculer un système dont ils bénéficient peu ou prou grâce aux subsides versés par le gouvernement, il y en a tout de même une partie qui trouvent que trop, c’est trop. Il y a chaque année dans le pays des centaines, peut-être des milliers de grèves, de manifestations, d’émeutes. Elles impliquent différents segments de la société civil: des étudiants, des lycéens, des chômeurs, comme dans les wilayas du sud, des médecins, etc. La plupart de ces mouvements sont étouffés grâce à la rente – le gouvernement achetant à prix coûtant la paix sociale.

Mais cela témoigne aussi du réveil de la société civile qui n’accepte plus la corruption galopante, la sclérose du pouvoir, l’immobilisme de la bureaucratie. Le mouvement « Barakat », qui signifie « ça suffit », est né de ce ras le bol d’une frange, étroite mais croissante, de la population. C’est le deuxième phénomène notable de cette campagne présidentielle qui, en apparence, transpire l’immobilisme et la récurrence. Issu de la société civile, composé de militants syndicaux, de journalistes, d’étudiants, Barakat signe la mort, peut-être provisoire, de l’opposition traditionnelle, incarnée dans des partis qui, pour la plupart, sont devenus inaudibles, lessivés par cette loi non écrite qui, en Algérie, régit toute forme d’opposition au régime: si un parti d’opposition participe à la répartition du pouvoir, par exemple à travers des élections, il n’est plus perçu par l’opinion comme un parti d’opposition et il se délégitimise; s’il refuse au contraire de participer, il court le risque, bien réel, de se marginaliser durablement, voire de disparaître du radar en épuisant ses financements, en se vidant de ses militants et en perdant peu à peu ses bases électorales.

Barakat, qui a organisé tout au long de la campagne des sit-in – actions de protestation – à Alger et dans d’autres grandes villes, traduit ainsi la désubstantialisation de l’opposition traditionnelle autant que le dynamisme de la société civile qui s’érige en force de contestation du régime. Et bien qu’il faille relativiser l’ampleur de la mobilisation qui a accompagné la naissance de Barakat, dont les sit-in n’ont à chaque fois réuni que quelques centaines au mieux de militants, sa création dans le paysage politique algérien est un phénomène nouveau qui traduit l’irruption dans un Etat périclitant d’une société civile en mouvement, et c’est peut-être la meilleure nouvelle de cette élection que de l’avoir mise en lumière.

Un autre phénomène tout à fait remarquable de cette campagne électorale, c’est le formidable essor d’Internet et des réseaux sociaux, et leur impact sur la vie politique. Avec des jeunes qui représentent 70% de la population algérienne et qui sont de plus en plus connectés, en particulier grâce à l’arrivée de la 3G dans le pays, le Web n’est plus seulement un défouloir, c’est devenu un espace de contestation massive qui se cristallise autour du « 4ème mandat », perçu comme l’ultime provocation d’un système dont le « mépris » – la « hogra » – n’a plus de limites.

A l’indifférence de beaucoup de citoyens dans la vie réelle à l’égard de la politique répondent sur les réseaux sociaux, Facebook en tête, une effervescence et une soif de participation colossales. Cette irruption brutale d’Internet dans la campagne n’est pas qu’un phénomène virtuel. La viralité qui caractérise les réseaux et médias sociaux démultiplie l’impact d’un événement et l’onde de choc d’une information. La capacité de chacun, désormais, à produire de l’information avec son seul téléphone portable, et anonymement, crée une situation dans laquelle le contrôle des citoyens, et des médias, est de plus en plus impossible à exercer. Un meeting qui se termine mal, comme c’est arrivé à plusieurs reprises durant la campagne pour les représentants du candidat Boutelifka, et en une fraction de seconde, les images circulent sur les réseaux sociaux d’un bout à l’autre du pays. Cette nouvelle donne numérique, à laquelle aucun Etat ne peut vraiment échapper, a éclaté au grand jour à la faveur de cette élection présidentielle en Algérie.

Par Karim Amellal, co-fondateur du média vidéo participatif sur l’Algérie www.chouf-chouf.com, de l’encyclopédie vidéo SAM Network et enseignant à Sciences Po (Paris). 


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