Derrière les violences policières, la question raciale

Article publié dans Le Monde du 24/02/2017

Selon Karim Amellal, l’existence d’une « question raciale » peut contribuer à expliquer pourquoi, malgré les dispositifs en faveur de l’égalité des chances, certaines personnes ne parviennent pas à percer le fameux « plafond de verre ».

LE MONDE IDEES | 24.02.2017 à 18h03 | Par Karim Amellal (Enseignant à Sciences Po)

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image: http://s1.lemde.fr/image/2017/02/24/534×0/5085232_7_7705_2017-02-19-b361825-20062-1kwtlo2-yjvpeyu8fr_f1cae04d038185a6dbfccad836b754c3.jpg« Les violences policières révèlent la force des préjugés qui existent au sein même des institutions et font des caractéristiques ethno-culturelles, de la couleur de peau, de la religion, des instruments de relégation sociale » (Photo: manifestations contre les violences polières, le 18 février, place de la République, à Paris).

La race est un tabou républicain et c’est bien ainsi. Nos politiques publiques ne peuvent pas être fondées sur le critère de l’origine ethnique. Celui-ci (qui correspond peu ou prou à la notion de « race » dans les pays anglo-saxons) est proscrit.

On ne peut pas compter la population en prenant en compte leur origine ethnique, ni leur religion d’ailleurs. On ne traite pas non plus, heureusement, les personnes à raison de leur « race », mais parce qu’ils sont de milieu social modeste ou bien qu’ils vivent dans des quartiers défavorisés.

La notion de minorités ethniques, ou raciales, est un impensé de la République. Mais voilà, en dépit de toutes les précautions prises, envers et contre la Constitution qui « assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion », la race existe. Du moins pour certains. Elle est un facteur d’inégalités. C’est ce que révèlent une nouvelle fois, hélas, les violences policières : la prégnance d’une question raciale qui demeure latente au cœur même de la République. Non parce que des individus revendiquent leur origine ethnique, mais parce que certains estiment que celle-ci doit être prise en compte.

C’est le cas de ceux qui discriminent sur le fondement d’une origine, qu’elle soit réelle ou supposée, ou encore de ceux, qui ne représentent pas une majorité, qui ciblent des personnes à raison des stigmates qu’ils perçoivent, le fait d’être Noir, d’être une femme, d’être un homosexuel. La question raciale se tient là, en embuscade, derrière nos pudeurs légitimes et le voile que l’on jette par-dessus sa réalité.

La question raciale est un fait quotidienTous ceux qui habitent, ou ont habité, dans un quartier sensible savent que la question raciale est un fait du quotidien, que les violences policières s’abattent toujours sur les mêmes corps, que les contrôles au faciès ciblent les mêmes visages.

Selon le Défenseur des droits, les jeunes hommes de 18-24 ans « perçus comme noirs ou arabes » ont « une probabilité 20 fois plus élevée que les autres d’être contrôlés » que l’ensemble de la population. Ce qu’a subi le jeune Théo vient à la suite d’une longue liste de noms appartenant à des jeunes le plus souvent issus de l’immigration et de quartiers défavorisés, Noirs et Arabes pour la plupart. Le milieu social, le lieu de résidence mais aussi, donc, l’origine ethnique s’enchevêtrent.

Dans une France dominée idéologiquement par les idées de l’extrême droite, où l’impact sur les consciences du terrorisme et de la « crise des réfugiés » est puissant, les fantasmes vont bon train. Placés en première ligne, sans forcément avoir reçu la formation nécessaire, travaillant dans des conditions très difficiles pour des salaires de misère, les policiers, en particulier à la base, sont eux aussi victimes de ces représentations. Et agissent parfois en conséquence. Comme avec Théo à Aulnay-sous-Bois, comme avec Adama Traoré en juillet 2016, comme avec Amadou Koumé, mort dans un commissariat du 10ème arrondissement de Paris une nuit de mars 2015, pour ne citer que ces noms parmi la longue liste des victimes de violences policières.

Les violences policières révèlent la force des préjugés qui existent au sein même des institutions et font des caractéristiques ethno-culturelles, de la couleur de peau, de la religion, des instruments de relégation sociale. Lorsqu’un ancien magistrat comme Philippe Bilger explique sereinement dans un tweet que « bamboula » était à son époque un sobriquet « presque affectueux », cela donne une petite idée de la force des préjugés à l’œuvre, mais aussi de la banalisation des idées, présupposés et éléments de discours de l’extrême droite jusque dans les rangs d’une partie des « élites ». Lorsque des policiers violent un jeune Noir, cela pose la question, non du racisme de toute la police bien sûr, mais du caractère foncièrement raciste d’une partie des abus commis par des policiers et, en les couvrant, en les minimisant systématiquement, de l’institution elle-même, c’est-à-dire en fait de l’Etat. Cela n’est pas nouveau, mais s’est sans nul doute aggravé au cours de ces dernières années.

La question raciale, c’est l’idée que certaines inégalités ne sont pas fondamentalement, pas totalement sociales, mais procèdent du racisme, ou de l’antisémitisme, ou de l’islamophobie, comme en matière de discriminations. La question raciale, c’est aussi, pourquoi ne pas le dire, l’existence d’un racisme institutionnel, produit par les institutions, présent depuis bien longtemps, produit d’une longue histoire (le 17 octobre 1961 en fut l’une des nombreuses illustrations), qui s’abat sur des individus à raison de leur couleur de peau, de leur origine, de leur faciès.

La question raciale, sans doute, c’est-à-dire au fond les préjugés, expliquent aussi que, nonobstant les dispositifs en faveur de l’égalité des chances, certaines personnes, à raison des mêmes stigmates, ne parviennent pas à percer ce fameux « plafond de verre » qui existe dans tous les secteurs professionnels dans notre pays. Ce plafond de verre est social, certes, mais il est aussi racial, ou ethnique, comme l’on voudra. Il fonctionne sur la base de préjugés racistes, ou différentialistes, qui produisent au final de l’exclusion.

Pour fondamental qu’il soit, le traitement social ne résout pas tout. Des quantités de jeunes ou moins jeunes issus de l’immigration parviennent à se hisser, par leur mérite, par leurs études, au seuil des fonctions exécutives, des postes à responsabilité, mais ne sont jamais nommés, jamais désignés. De ce point de vue, la politique du jeton (« token policy ») comme la désigne les anglo-saxons ne doit pas faire illusion : les quelques-uns qui sont parvenus à être nommés ministres ne doivent pas faire oublier la masse considérable de tous ceux qui, à cause de leur origine, n’y parviennent pas. Au fond, les violences policières, la discrimination ou le caractère « monocolore » des élites constituent peut-être les trois facettes du même phénomène.

Est-ce à dire qu’il faille raisonner en termes raciaux ? Bien sûr que non. Le traitement social, la lutte contre les inégalités sociales, doivent rester au cœur de nos politiques publiques. Les inégalités sont avant tout de nature sociale en France. Elles sont fondées sur les milieux sociaux, le patrimoine, les lieux de résidence, les statuts, notamment. Mais certaines inégalités ne sont pas que sociales et certains stigmates continuent d’alourdir ou de grever certaines trajectoires sociales. Peut-être faudrait-il au moins en avoir conscience.

 

 

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