Emission sur France culture le 20 juillet 2019
La finale de la Coupe d’Afrique des Nations n’est pas qu’un match de football pour les supporters algériens. Face aux Sénégalais, les « Fennecs » ont été scrutés par toute une nation qui connaît, depuis plusieurs mois, des instants décisifs pour son avenir. La fête a été belle puisque les Algériens ont gagné 1 à 0, inscrivant une deuxième étoile sur leur maillot blanc et vert.
Initiée le 22 février dernier, la contestation en Algérie a eu comme conséquence la démission d’Abdelaziz Bouteflika, annoncée deux mois plus tard, le 2 avril. Depuis cette date, la situation reste instable et les manifestations continuent tous les vendredis pour protester contre le régime. Dans ce large mouvement populaire, les supporters ont joué un rôle très important, les stades étant des espaces politiques où des chants protestataires sont entonnés avec une plus grande liberté, comme le souligne Mickaël Correïa, journaliste et auteur d’une « Histoire populaire du football » (La Découverte).
Les stades ont toujours été délaissés par le pouvoir et sont devenus de véritables défouloirs politiques. Dans les années 50, les supporters conspuaient les Européens dans les tribunes. Plus tard les Amazighs poursuivent cette tradition et scandaient des revendications berbères. Depuis quelques années, c’est la culture « ultra », venue d’Italie, qui s’est diffusée dans les stades. Elle se caractérise par une volonté d’indépendance à l’égard des politiques et une grande solidarité entre membres.
Après la démission du président d’honneur octogénaire du FLN, c’est Abdelkader Bensalah, président du Conseil de la Nation – la Chambre haute du Parlement, qui est devenu président par intérim. Elu par les deux Assemblées, son mandat de 90 jours devait aboutir à la préparation d’élections présidentielles anticipées, prévues pour le 4 juillet. Faute de candidats déclarés, cette échéance n’a pas eu lieu. « Vide constitutionnel, félicitations ! », scandaient ainsi les étudiants lors d’une manifestation à Alger le 12 juillet dernier, confirmant une nouvelle fois le rôle essentiel de la jeunesse dans cette révolte inédite.
Le « Hirak » – « mouvement social » en arabe -, n’a pourtant pas de « leader » autoproclamé, et c’est même une de ses caractéristiques. Cela tient aussi du fait qu’après la démission de Bouteflika, c’est une figure de chef de l’Etat à réinventer, du côté du peuple comme des autorités, selon Karim Amellal, écrivain et auteure de « Dernières heures avant l’aurore » (L’Aube, 2019).
Il y a une vraie défiance au sein du mouvement et des Algériens en général à faire émerger des porte-paroles. Les représentants, aussi putatifs soient-ils, sont aussi gênés de se mettre en avant.
Cette question de représentation est certes discutée dans le mouvement de contestation, mais elle n’est pourtant pas centrale. La structuration des manifestants n’a pas forcément pour ambition de désigner un nouveau président. C’est ce que précise Amel Boubekeur, sociologue à l’EHESS.
Le mouvement a remis en cause la question du leadership. Mais il serait hors-propos de demander au « hirak » un représentant identifié. Cette mission doit être celle de futures institutions transparentes.
Avec Karim Amellal, écrivain, Mickaël Correïa, journaliste, et au téléphone, Amel Boubekeur, chercheuse en sociologie à l’EHESS, spécialiste du Maghreb et des relations franco-arabes.